top of page

Déviation n°01 : Faut-il redéfinir le beau

Le Beau, le Bon et le Truand

Pauline Labarthe

 

Qu’est-ce que le beau ? 

Le beau, pour moi, est subjectif, personnel. C’est un point de vue unique, et pourtant instinctivement, nous nous écriions tous “wahou c’est beau” comme si cela était une vérité universelle, une évidence. Cela voudrait-il dire qu’il existe des sortes d’évidences de beauté que personne n’oserait contester ? Le beau est-il donc purement singulier et personnel ? Si le beau était si personnel, d’ailleurs comment se fait-il qu’il existe des concours de beauté ? Des prix du “plus beau” dans presque tous les domaines ? La plus belle femme, le plus bel homme, le plus beau livre, la plus belle musique, le plus beau film ? En architecture : “le plus beau bâtiment” ? 

 


 

Des prix qui imposent unanimement une échelle de valeur du “beau”.

Si nous établissons un parallèle avec les concours de beauté féminine, par exemple, le plus connu aujourd’hui en France : l’élection de miss France ; le but premier de cette émission n’était-elle pas de montrer la diversité des beautés régionales au sein d’un même pays ? Chaque région, avec ses caractéristiques physiques propres, vient mettre en compétition différentes typologies de beauté. Mais alors comment les membres du jury arrivent-ils à discerner un prix à la participante qui représentera au mieux l’identité française, puisque celle-ci est fragmentée et hétéroclite ? Finalement, ne faut-il pas produire de la similitude pour rendre les comparaisons possibles ?  Mais dans un même temps, cela ne revient-il pas à créer une forme de femme idéale, l’illusion d’une unité régionale genrée, racisée ?  

Une image parfaite qui annihile toute forme de différence et de marginalisation... 

Les prix et concours ne reflètent peut-être pas seulement la beauté, mais plus une identité, l’identité comme symbole national. Les concours sont pour moi plus qu’un jugement de valeur, mais bien un enjeu de promotion et de reconnaissance sur la scène mondiale. Mais au jeu de la compétition, les architectes ne se perdent-ils pas en ayant pour but la gagne ?

Car, si les prix récompensent une beauté et identité collective, les architectes n’essaieront-ils pas, pour le prestige que cela représente pour leur propre image, de se conforter à cette identité pour s’assurer la victoire ? Alors que, l’essence du travail de l’architecte n'est-ce pas de questionner sans cesse les limites, les évolutions, le progrès et de transformer l’espace pour essayer des formes nouvelles qui accompagnent l’évolution des hommes ?  Les prix et concours ne seraient-ils pas alors des dangers pour l’architecture dans le sens ou, poussés par leur ego, l’architecture ne devienne qu’un produit uniformisé et homogénéisé ? Un produit qui ne prend plus compte de son site, de son environnement, de son climat et même … de ses habitants ?

Certains voient dans les concours de beauté une injonction à la beauté formalisée par la société. Même si, certains critères de beauté peuvent évoluer avec le temps, certains restent figés, immuables, aux allures inébranlables comme la taille et le poids. N’en est-il pas de même pour l'architecture ? Certaines formes et matériaux ont été amenés sur le devant de la scène nationale et mondiale par les différents courants de pensée, comme les toitures terrasses et fenêtres en bandeaux par les modernistes. Certains matériaux, certaines formes ne sont-ils pas prédominants, faisant de l’ombre à toute sorte de nouveauté qui dérangerait ? Si l’on regarde les architectures récompensées par l’Equerre d’argent : la pierre, la brique, le béton, l’acier, le verre et maintenant le bois sont les ingrédients du succès. Ces matériaux bien ancrés maintenant dans la conscience collective ne feraient-ils pas de l’ombre aux matériaux émergents comme les matériaux bio-sourcés ?

Ces ingrédients que sont les matériaux, les formes, les programmes, les manières constructives mais aussi le milieu dans lequel les bâtiments s’inscrivent amplifie une fragmentation culturelle entre les projets mis sous la lumière des projecteurs et ceux qui se développent dans l’ombre et qui sont pourtant tout aussi, voire même parfois, plus intéressants. On peut donc se demander ce que sont réellement les critères de jugement de beauté des jurys pour qualifier le “plus beau bâtiment de l’année ”.

 


 

En architecture, c’est quoi “le beau” ? 

 

Qu’est-ce qu’un bâtiment a, ou doit avoir, pour qu’on lui attribue aisément et communément la qualification de “beau” ? Est-ce sa signification, son intelligence, aux savoirs auxquels il fait appel, à sa forme, sa couleur, son geste, les émotions qu’il engendre, le nom de son créateur ? Quels sont les paramètres qui sont en jeu dans la définition de sa valeur de beauté ?

 

Je pense que la beauté est subjective parce qu’elle fait appel à nos sentiments, nos émotions, nos ressentis et sensations. Donc, nous jugeons la beauté par le prisme de ce qui nous émeut, nous touche personnellement, auxquels nous arrivons à nous lier, nous connecter. C’est-à-dire, dans ce en quoi nous nous retrouvons, dans lesquelles nous arrivons à trouver des parallèles avec notre propre vie, notre propre parcours, notre vécu. Peut-être est-ce que nous trouvons aussi plus aisément de la beauté dans ce que nous comprenons (même si parfois nous acceptons de ne pas saisir le sens complet mais alors c’est que les émotions auront été plus fortement appelées).. 

 

Mais je pense aussi, qu’une part de ce que nous trouvons beau, nous est induit par culture ou un apprentissage. Un espace dont les fenêtres sont barreaudées rappelle la prison, pourtant nous n’avons pas tous vécu l’expérience de l’emprisonnement. Mais ce récit, ces émotions sont tellement détaillés dans des films, livres, etc que le subconscient commun relie le barreaudage à un sentiment malaisant d’enfermement, de contrainte, de répression. Des barreaux aux fenêtres vont donc faire partie de quelque chose communément de disgracieux, inesthétique. L’inconscient collectif joue donc un rôle important pour moi dans les valeurs communes de beauté. L’inconscient collectif, l’imaginaire commun sont influencés aussi par les effets de mode et les différents courants artistiques qui traversent le temps. L'âge d’or du béton lors de l'après-guerre, les modernistes et leurs 5 règles de l’architecture moderne, les hygiénistes… les effets de mode, les mouvements influencent aussi notre vision du beau. Le beau n’est donc pas forcément quelque chose de figé dans le temps mais évolutif. Ne serait-il pas temps de se saisir de cette définition pour rediriger son évolution ?


 

Et si le beau était influencé par le bon ?

Est-il possible d’influencer la mode en architecture ? Pourrait-on imaginer un instant de rediriger notre vision du beau ou du moins d’en rajouter un paramètre : le bon. Le bon pour nous, pour notre santé, pour notre environnement. Peut-on trouver beau / belle, une architecture qui “prendrait soin de” ? Plus qu’une idée, je pense que cette notion pourrait devenir une nécessité. Au vue de la crise écologique que nous traversons, ne devons-nous pas changer notre vision du monde et ne plus nous arrêter uniquement sur des questions esthétiques. Ôter toute question esthétique ne serait pas la solution, car je pense que la beauté esthétique comme nous l’entendons aujourd’hui, bercée par la symétrie, les proportions, les rythmes, la lumière, ne doit pas être éradiquée à la faveur du bon. Je pense profondément que le beau est essentiel dans notre quotidien pour nous émerveiller, nous faire vivre, nous inspirer. Mais le beau peut être redéfini en ajoutant la notion du bon, car ce qui est bon est inspirant. Le bon, nous donne les clefs de compréhension de ce qui nous entoure, révèle nos fragilités et sensibilise à l’importance de ce qui nous entoure comme écosystème. 

 

Les concours permettent une diffusion et médiatisation de certaines productions. Ils pourraient aussi démocratiser des manières de construire plus respectueuses de l’environnement, jusqu’à ce qu’elles fassent pleinement partie de notre inconscient collectif ?

Je pense que le beau est aussi interconnecté au fonctionnement, à la fonction, surtout en architecture. Et un bâtiment qui “fonctionne”, qui remplit ses fonctions, c'est-à-dire : offrir un espace de vie et de développement, ne peut se faire que si la forme, les matériaux, les mises en oeuvre répondent pleinement  à un climat, un environnement.

Promouvoir le bon en tant qu'un des paramètres du beau, permettrait d’ouvrir nos standards et de défendre des valeurs plus écologiques, plus justes. Cela permettrait d’ouvrir nos perspectives sur de nouvelles beautés, ou des beautés oubliées : la  juste-mesure, le savoir-faire, la prouesse ou la sensibilité du geste.



 

En conclusion, la notion de beau, même si elle est subjective et propre à chacun, est influencée par tout un tas de paramètres qui peuvent être ressentis collectivement. Cela nous permet donc d’établir des comparaisons et de classer et graduer certaines productions sur cette échelle du beau, du remarquable. Malheureusement, les valeurs communes et l’inconscient collectif ayant une forte place dans la recherche d'identité nationale ne laissent que difficilement de la place aux projets émergents et marginaux. On voit cependant, depuis quelques années émerger de nouveaux prix et concours qui cherchent à médiatiser et donner à ces productions d’un ordre nouveau, une chance d’être “normalisée” ou du moins de faire rayonner les bases de leurs questionnements et d’ouvrir de nouvelles possibilités. Qu’il s’agisse de concours féminins comme “miss ronde” ou “miss rescapée des mines” clamant de nouvelles formes de beauté, en architecture les prix spécialisés dans l’architecture écologique commencent aussi à naître : le prix séquence bois, the Global Award for Sustainable architecture…  Mais cela ne rend pas totalement justice à ces bâtiments car finalement ils ne seront jamais comparés à ceux éligible à l’Equerre d’argent ou miss France. Les prix sont annexes, mais ne jouent pas sur les mêmes terrains. Ils répondent à des besoins différents : l’un cherche à promouvoir une identité nationale à défendre sur la scène mondiale, assumant un savoir-faire bien ancré et démontré, l’autre montre les voies des possibles, ouvre le dialogue et la réflexion, il questionne. Une bipolarité qui se ressent chez de nombreux architectes : entre désir de gloire et désir d’exploration et de recherche personnelle. 

bottom of page