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Déviation n°01 : Faut-il redéfinir le beau

Lettre à la Belle au
moi dormant

PYN

Pourrait-on s'aimer autrement ?

La beauté, le beau, être belle… C’est quoi “être belle” ? On dit que la beauté est subjective, qu’elle n’est le résultat que d’un point de vue personnel. Mais alors qu’est-ce qu’il y a de plus personnel que le “moi” ? Que mon propre corps, mes propres yeux ? Comment alors, est-il possible que de mes propres yeux, mon corps à moi ne soit pas “beau” ? Je ne comprends pas comment cela est possible. C’est contre-nature non, de ne pas aimer sa propre nature ?

 

Alors oui, on dit aujourd’hui, qu’il faut s’aimer, aimer son corps, s’assumer, que c’est ça aussi être féministe, déconstruire l’image stéréotypée de la femme, tout ça tout ça… Mais concrètement comment on fait ? Dis-moi comment on fait ! 

 

Je ne suis pas contre cette théorie, j’aimerais plutôt, même, en faire pleinement partie. Mais comment fait-on lorsque, quand on regarde son reflet dans le miroir, on ne voit que des défauts ? Qu’une forme informe, inhumaine, flasque, monstrueuse, striée de cicatrices, de poils, de bourrelets, de boutons, rougeurs, plaques, creux, plis, bosses, croûtes, rides, taches, cernes, sillons. Comment fait-on ?

 

Je n’en peux plus de m’entendre dire que je suis trop grosse, trop poilue, que j’ai les cheveux gras, de la moustache, des vergetures, que c’est moche, moche, MOCHE. Et pour couronner le tout, si je ne me plais pas à moi-même, comment est-ce qu’un jour je pourrais plaire à quelqu’un ? Hein ? Tu t’es vue ? tu t’es regardée ? Tu as vu ce que je vois, moi ? Alors je n’imagine même pas ce que toi tu vois, à travers tes yeux à toi ? Tu dois les voir tous ces défauts, toutes ces monstruosités. Comment je fais pour que tu ne les vois pas, toi ? Pour que tu ne les remarques pas ? Qu'elles ne te dégoûtent pas ? Comment fais-tu toi pour cacher tout ça ?

 

En même temps, est-ce que j’en ai vu chez toi ? Je ne m’en souviens pas. En fait, je crois que je n’ai pas regardé. Non, j’en suis même sûre, je n’ai même pas fait attention à toi, à ton apparence, à tes défauts. En réalité, j’étais déjà trop concentrée à cacher les miens de défauts, que je n'ai pas porté attention aux tiens. Oh mais je suis hyper égocentrique en fait ! Mais pourtant je t’ai trouvé beau. Donc non, je t’ai regardé. Mais… je n’ai pas relevé de défauts. Ou plutôt j’ai dû en voir, mais à mes yeux, ils ne se sont pas présentés comme des défauts. J’ai trouvé ça mignon même, atypique, charmant, charmeur, drôle mais touchant, c’était toi quoi.

 

Et donc, elle est où la logique dans tout ça ? Quand je vois une ride sur toi, je trouve ça mignon, attendrissant, même attirant. Ça montre que tu as vécu, que tu emportes le temps avec toi, que tu es humain et que c’est beau d’être humain, de vivre, de ressentir, d’être. Par contre, quand cette même ride apparait sur mon front, juste là, au dessus de mes sourcils, c’est un cratère, une faille, une fissure, le grand canyon colérique et fatigué, fatiguant, épuisant, révélant le stress, la peur, la méchanceté, le mal-être, le poids du monde qui m’écrase, qui m’étouffe. C’est pas bien, c’est pas beau, c’est pas bon. Il faut l’effacer, le gommer, le cacher. L’affirmer ? Non, je n'ai pas les épaules pour ça moi. Comment on fait pour avoir les épaules pour ça ? Je ne sais même pas s’il s’agit du regard des autres, s’il s’agit de mon regard à moi. A moins que mon regard à moi, soit façonné par le regard des autres ? 

Il est vrai que je ne me souviens pas à partir de quel moment je ne me suis pas trouvée “belle” ? A partir de quand, mon regard s’est façonné et positionné avec tant de négativité ?

Pourtant quand on est petite, on est sûrement soumis à l’épreuve fatale du miroir. Peut-être que, lorsque l’on est jeune, on ne se regarde pas vraiment. On joue juste avec notre reflet sans émettre d’avis, d’opinions ? Il ne s’agit que d’une image en mouvement, qui singe nos propres mouvements ? C’est drôle, juste drôle. On regarde sans regarder, on voit sans analyser. Mais grandir c’est aussi ça non ? C’est acquérir et développer un sens critique, affirmer et soutenir, défendre une opinion, un jugement. Un développement mental qui est en plus accompagné d’un développement physique. Une double évolution qui peut, peut-être, faire naître les premiers conflits intérieurs ? 

 

Peut-être au début, s’agissait-il seulement d’un jeu, de mimer les “grandes personnes”, ma sœur, ma mère, les actrices de films. Un jeu dans lequel nous devions nous trouver des défauts dans le miroir. Développer un vocabulaire nouveau, empli d’adjectifs dégradants, blessants… Celà vient peut-être aussi de là : des blessures. Des premières remarques, des premières insultes ? De tous ces mots, aiguisés comme des flèches, qui viennent nous cisailler les entrailles. Des mots qui heurtent plus que les coups. Car, projectiles télécommandés, ils ne touchent pas le solide mais la pensée, et ça malheureusement il est difficile de les parer. 

 

Pendant les années collège, les années lycée, je pense que j’ai toujours réussi à faire en sorte que mon cercle d’amis soit bienveillant. Je n’ai pas vraiment souvenir d’avoir été insulté ou moqué, même si cela a certainement dû arriver. Mais je n’en ai aucun souvenir. Par contre, ma famille… Eux ! leurs mots, à eux !  Ceux-là, j’ai du mal à les oublier. Je m’en souviens limpidement, comme si ces moments étaient enregistrés dans ma carte mémoire, et que derrière mes lobes, mon cerveau pouvait sans prévenir me les re-diffuser. Il est fou de constater à quel point les souvenirs sont incontrôlables. On ne peut pas choisir, ce que notre mémoire va retenir. Ce que l’on aimerait sauvegarder. Je lace mes chaussures, assise sur le bord de la première marche de l’escalier. “Pousse toi, grosse vache !”, me lance avec un grand sourire ma sœur qui a pourtant largement la place de monter. Oui, limpide, très limpide. Un coup, une claque n’aurait laissé qu’un bleu, qui au bout de quelques jours aurait certainement disparu. Alors que cette expression, elle me reste gravée, quoi, presque 10, 15 ans après m’avoir touchée. Je pense même qu’au moment où ses mots ont quitté sa bouche, cela m’a à peine ébranlé, mais c’est le soir, lorsque tu te déshabilles devant le miroir qu’ils reviennent comme un boomerang, te défoncer le cerveau. Un uppercut qui met KO par surprise, là sans prévenir, imperceptible, discret et pourtant bien puissant.

 

Bon docteur, maintenant qu’on a possiblement trouvé la source, ça nous amène à quoi ? A où ? Nous n’avons toujours pas de solution, nous avons juste perdu des heures et pour moi beaucoup d’argent ! Et sinon, ça vient d’où cette manie de vouloir trouver l’origine d’un problème à tout prix. Comme si la source était liée à la solution. Alors oui, si on parle d’une maladie, bien sûr qu’en trouver la source est une avancée majeure dans les chemins de la guérison. Mais là ? Quand la source est un souvenir gravé dans notre subconscient, on fait quoi ? on fait comment ? On se fait lobotomiser ? Ou alors… on essaie de compenser. Oui, trouver un moyen de couvrir, de cacher. Moi je crois que j’ai choisi l’humour pour tout cacher, pour tout recouvrir. On blague de tout, de soi, on remplit l’espace libre qui ne permet pas de repenser au passé. On se marre, on déconne, on rigole, on déborde de partout pour ne rien laisser rentrer. On arrive même à se conforter dans une idée d’équivalence. De justice et de balance presque. Ok je ne suis peut-être pas belle, mais je suis drôle. Dans une échelle de valeur, ça pèse le même poids non ? Donc je suis belle à ma façon. Je suis drôlement belle? On joue de l’équation des avantages et des inconvénients, des qualités et des défauts, comme si le monde ne se réduisait qu’à une simple opération mathématique. “Nan mais je t’assure, tu peux m’aimer parce que je suis drôle. Je suis tellement drôle, que tu vas m’écouter plus que me voir. Tu vas m’aimer pour ce que je dis et pas pour ce que je suis.” Ou alors j’en fait trop ? Je parle trop… et alors là tu vas plutôt me détester parce que je prends tout l’espace pour me cacher. Peut-être que j’en ai marre de me prendre la tête sur un physique. Peut-être que j’en ai marre de compenser. Est-ce qu’on ne pourrait pas redéfinir la beauté par … je ne sais pas, quelque chose de plus qualitatif, de plus important qu’un trait physique ? La bonté par exemple, la gentillesse, l’intelligence, l’humour, la bienveillance, l’ouverture d’esprit ? On pourrait pas s’aimer autrement ? Se trouver beau et belle autrement ? Peut-être qu’avant de juger mon enveloppe corporelle, il faudrait que j’apprenne à aimer ma personnalité, ma mentalité ? Là peut-être que déjà on pourrait s’aimer et se trouver belle à sa manière. Bref, tout ça pour dire que j’aimerais m’aimer, me trouver belle, m’assumer, être féministe, sûre de moi, mais tout ça, ben c’est pas si facile ! Mais promis un jour j’y arriverais !

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