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Déviation n°02 : Se faire ban au bon lieu : les banlieues

Féminisme et banlieues :
repenser l'habitat

Pauline Broquet

Banlieues et féminisme : repenser l’habiter au prisme des marges 

 

La banlieue, lieu de l’entre-deux, concentre une pluralité de réalités qui cristallisent les questions urbaines et sociales contemporaines. Historiquement, le terme renvoie à l’idée du « ban », l’exclusion, et de la « lieue », la distance. Les banlieues sont ainsi nées comme des marges : géographiques, sociales et symboliques. Elles incarnent deux idéaux souvent opposés : d’un côté, la verticalité des HLM, marquées par une médiatisation négative et des problématiques de relégation ; de l’autre, l’horizontalité pavillonnaire, associée à l’étalement urbain, au rêve de propriété et à une invisibilité médiatique. Ce dualisme questionne les manières d’habiter, de s’approprier l’espace, et d’y redéfinir son identité. 

À la lumière du livre Ville féministe de Leslie Kern, ces territoires périphériques prennent une nouvelle dimension. Kern y propose une lecture de l’espace urbain comme genré, révélant comment la ville a souvent été conçue pour des besoins masculins et invisibilisant les expériences des femmes. Cette analyse, bien qu’appliquée principalement au cœur des métropoles, trouve un écho fort en banlieue. Les espaces périphériques exacerbent souvent les défis d’accessibilité, de mobilité et de sécurité, tout en imposant des routines fortement genrées. 

 

 

 

Banlieues : espaces genrés et résilience féminine 

 

Les banlieues pavillonnaires, par exemple, idéalisées comme havres familiaux, peuvent se révéler piégeantes pour les femmes. L’éloignement des services, la dépendance à la voiture, et les tâches domestiques liées à la maison individuelle contribuent à renforcer des stéréotypes genrés. À l’inverse, les banlieues d’habitat collectif, bien que stigmatisées, abritent souvent des réseaux de solidarité et de résistance portés par des femmes. Kern souligne l’importance des espaces publics pour l’émancipation des femmes, des lieux où elles peuvent se retrouver, s’organiser, et exister en dehors des rôles qui leur sont imposés. Ces dynamiques sont particulièrement visibles dans les banlieues, où les espaces communs, même imparfaits, jouent un rôle essentiel. 

 

 

 

Entre marges et innovations 

Comment concevoir des espaces qui répondent aux réalités du quotidien tout en dépassant les inégalités structurelles ? Kern plaide pour une approche inclusive, où les espaces sont conçus non seulement pour les besoins majoritaires, mais aussi pour les besoins spécifiques, souvent invisibilisés : ceux des femmes, des enfants, des personnes âgées ou à mobilité réduite. 

Prenons l’exemple de l’aménagement des espaces publics en banlieue. Le design de places, parcs ou zones de rencontre pourrait intégrer des éléments favorisant la sécurité et l’accessibilité, deux préoccupations clés pour les femmes. Des initiatives comme celles de Place au Soleil à Montréal ou des projets de reconversion urbaine menés en Île-de-France montrent comment ces espaces peuvent devenir des lieux de réappropriation collective. 

 

 

 

Vers un habitat transformateur 

La banlieue, par sa position à la lisière de la ville et de la campagne, questionne également les modèles de développement durable et les interactions entre l’homme et son environnement. À l’heure où l’architecture écologique gagne en importance, ces espaces offrent l’opportunité de réinventer les modes de vie. Kern, dans Ville féministe, insiste sur la nécessité de créer des espaces flexibles et adaptatifs. Cela pourrait inclure des logements évolutifs, capables de s’adapter aux besoins changeants des familles, ou des espaces partagés favorisant le lien social et réduisant l’empreinte écologique. 

En fin de compte, la banlieue est bien plus qu’un simple espace marginal. Elle est un miroir de nos sociétés et un laboratoire pour repenser l’habiter. En tant que femme architecte, s’intéresser à la banlieue avec une lecture féministe, comme celle de Kern, c’est s’engager à concevoir des espaces qui ne se contentent pas de reproduire les structures existantes, mais qui les transforment. C’est explorer des solutions pour que cet entre-deux devienne un espace de connexion, d’innovation et d’émancipation, pour tous et toutes.

Bibliographie

Ville féministe, Kern Leslie, 2022, Edition Remue-ménage

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