top of page

Déviation n°02 : Se faire ban au bon lieu : les banlieues ?

DOSSIER CONSTRUCTIF 02 :
La réhabilitation de tours HLM

Pauline Labarthe

INTRODUCTION :

 

Hérités des années 50 à 80, les grands ensembles sont aujourd’hui au cœur des préoccupations des bailleurs sociaux, collectivités et maîtrises d’ouvrage. Trop longtemps laissés à l’écart des discussions, vus comme la bête noire de l’architecture, ces logements qui peuvent pourtant s’avérer d’une riche qualité spatiale se sont vu petit à petit défraîchir. La manière d’habiter, les notions de bien-être, l’évolution des ménages et des populations, ainsi que la crise climatique avec le réchauffement planétaire nécessitent une adaptation, une mise à jour de ces constructions massives pour redonner aux habitants une meilleure qualité de vie.

Repenser et réhabiliter plutôt que démolir.

La démolition / reconstruction étant une première réponse facile bien trop énergivore et polluante, nous préférons ici nous intéresser au choix de la réhabilitation. Il est maintenant prouvé depuis longtemps que la réhabilitation d’un bâtiment est certes plus coûteuse au moment du chantier et plus longue que la déconstruction / reconstruction, mais ces coûts s’égalisent sur la durée de vie du bâtiment à long terme. Pourquoi donc continue-t-on de démolir sans même faire l’effort d’établir un premier diagnostic ? Le diagnostic… nous y reviendront plus tard. La réhabilitation des projets de logements sociaux à grande échelle soulève donc de nombreux enjeux différents tant sur l’aspect environnemental que technique, social et financier.

Refaire la ville ensemble.

L’un des principaux problèmes des grands ensembles est qu’ils ont été construits majoritairement dans l’urgence pour répondre à une crise du logement. Ils sont donc basés sur un modèle d’unité reproductible à l’infini mais peu adaptable. En effet, les logements des grands ensembles n’offrent pas souvent de diversités de typologie, ni d’usages. La conception réalisée hors site et souvent sans les habitants (car locataires non désignés) a été source de grands mal-êtres. Ce mal-être a aussi été amplifié par les flux migratoires de population de cette époque, par le biais duquel de nombreuses familles nord-africaines à la structure de ménage ou aux coutumes différentes de l’européenne, se sont vu attribuer des logements qui ne leur étaient pas adaptés. Dans cet article, nous ne traiterons pas des questions sociologiques des grands ensembles (à regret car très intéressantes) mais nous nous focaliserons sur le processus et la méthodologie de la réhabilitation de certaines opérations des grands ensembles. En tout cas, traiter la réhabilitation de manière collective, participative apparaît aujourd’hui comme une des clefs primordiales pour qu’une opération soit durable, nous permettant aussi peut-être d’éviter certaines erreurs du passé. Le participatif par la co-réflexion menée avec les habitants actuels et/ou futurs est un exercice à introduire dans le plus d’étape possible pour offrir une manière de vivre et d'habiter adaptée et adaptable.

Après avoir posé succinctement quelques bases de réflexion, nous allons donc essayer d’établir quelles pourraient être les grandes étapes de la réhabilitation de grand ensemble, en se basant sur le travail de trois agences d'architecture : 

  • Lacaton&Vassal pour la transformation des 530 logements de la Cité du Grand Parc à Bordeaux (2017) et la tour Bois-le-Prêtre à Paris (2011)

  • BMC2 Architectes pour la réhabilitation de deux tours de 180 logements dans le quartier de Maurepas-Gros-Chêne à Rennes (2016-2023)

  • Atelier Aïno pour la réhabilitation d’une tour de logement R+10 sur l’Îlot Tolbiac Moulinet, Paris 13ème

Le but n’étant pas de critiquer la qualité esthétique et architecturale de ces projets mais d’étudier leur processus de réflexion et réalisation pour tenter de synthétiser en donnant des pistes de réflexion globale le projet de réhabilitation d’habitations. Ceci ne sera pas une recette prête à l’emploi reproductible mais une étude de cas à se réapproprier et réadapter selon chaque futur projet.

  1. LE DIAGNOSTIC

 

Les architectes grands absents ?

Outre le fait que les diagnostics soient une démarche relativement récente, les architectes semblent être les grands absents de cette opération. Pourtant, si le marché de l’immobilier se dirige (ou va se diriger) majoritairement vers la réhabilitation, il serait temps que l’apprentissage de l’architecture passe par la formation au diagnostic des bâtiments. (Je pense que cet absentéisme est surtout dû à une vision de cette tâche pensée comme “dégradante” pour le travail du dieu artiste /architecte et par un manque de reconnaissance pécuniaire par les maîtrises d’ouvrage.)

Le diagnostic, reste pourtant la première étape essentielle pour la réhabilitation d’un bâtiment. Faire un diagnostic, ne consiste pas simplement à faire le rapport de l’existant mais à constater des faits, les interpréter et les analyser pour en extraire les enjeux futurs et les prémices des réponses qui seront les plus adaptées. Le diagnostic se fait alors sur plusieurs échelles selon les opérations : à l’échelle urbaine, à l’échelle du bâtiment, et à l’échelle du logement. 

              1.a_ Le diagnostic urbain

Pour qu’une opération de logements, surtout à grande échelle, fonctionne, il faut qu’elle permette à ses habitants d’avoir accès facilement à des équipements, commerces, écoles, des espaces verts etc…

Un lieu de vie n’est pas seulement un lieu dans lequel on dort mais bien un lieu autour duquel rayonne nos diverses activités. Le diagnostic urbain servira donc aussi à ça. Dans la majorité des cas, les cités HLM ont été construites en périphérie des villes, le diagnostic urbain est donc une étape importante car l'une des raisons des échecs de ces opérations a souvent été leur exclusion de la vie sociale et culturelle des centres.

 

Le diagnostic urbain doit être observé sous plusieurs prisme et données : 

  • la mobilité : accès aux transports en commun, aux pistes cyclables, présence ou non de parking etc.. ?

  • la présence de facilités : supermarchés, commerces de proximité ?

  • Éducation : présence ou desserte d’écoles primaires, collèges, lycées, universités ?

  • Culture et sport : présence d’équipements ?

  • Présence de nature par la présence d’espace vert ?

  • Les espaces possibles et appropriables de vie commune ?

(Bien sûr, toute autre donnée pertinente selon le lieu peut être étudiée en complément, ceci n’est qu’une base de travail.)

Certaines données urbaines peuvent s’étudier par des cartes, des chiffres, mais selon moi, l’étude ne peut être complète sans l’avis des habitants. Comme vu précédemment, l’inclusion des habitants dans le processus doit se faire le plus tôt possible, donc dès l’étape du diagnostic.

 

Le diagnostic urbain permettra donc de relever les enjeux des points faibles à renforcer pour assurer la meilleure viabilité au projet (et donc sa durabilité). 

​​

              1.a_ Le diagnostic à l'échelle du bâtiment

Il fait état des lieux de stabilité de l’existant mais aussi plus en détail de l’état général du bâtiment : isolation, finition des parties communes, mais aussi architecturalement parlant, y a-t-il la présence de lieux communs ? etc… Cette étape questionne aussi bien l'état structurel, que la qualité architecturale proposée. Il s'agira aussi d'observer la mise au norme en matière d’accessibilité et de sécurité incendie. La participation des habitants à cette échelle du diagnostic permet aussi de connaître les attentes en termes d’espace communs des opérations. Cette échelle du diagnostic permet donc de dégager les nécessités structurelles mais aussi spatiales. 

              1.a_ Le diagnostic à l'échelle du logement

Outre l’état des finitions, le diagnostic à l’échelle du logement doit surtout relever les richesses, ou non, de typologies et l’adaptabilité, flexibilité qui existe au sein de l’opération existante. Le dialogue avec les habitants permet directement de rendre compte des manques ou problématiques de la pratique des lieux.

Par exemple dans les opérations de Lacaton&Vassal, c’est surtout le manque d’espaces extérieurs privatifs (balcon, loggia) ainsi que la superficie des logements trop faible pour la structure des ménages qui y habitent qui ont été soulevés. Cette échelle permet aussi de s’intéresser au bien être ressenti des habitants par la qualité de vie intérieure : présence ou ressenti de moisissures ? condensation ? Efficacité de la ventilation naturelle ? L'étude menée par l'Atlier Aïno auprès des habitants a permis de mettre en avant un inconfort dû à la mauvaise ventilation et à l'effet de "paroi froide". 

En termes d’espace peuvent être observés : la présence ou non de rangements / stockage ? ainsi que la fluidité de la distribution des espaces (éviter les “cul des sacs” / pièces en enfilades etc..) distribution deux types d'espaces : jour / nuit. 

   2. CONCEPTION DU PROJET

 

L’étape de conception du projet découle des enjeux et premières pistes des différents diagnostics menés précédemment. La co-conception avec les habitants est un plus important aussi dans l’étape de projet, car il permet de concevoir directement avec les futurs habitants les qualités attendues des logements pour garantir leur bon fonctionnement et durabilité (même si cet exercice peut parfois s’avérer long et fastidieux). 

La conception du projet se fait elle aussi selon les différentes échelles des diagnostics. Dans la majorité des cas de réhabilitations, les projets interviennent sur l’amélioration des parties communes, la qualité des logements et la réorganisation des espaces extérieurs lorsqu’ils y en a. 

 

L’étape de projet permet donc de prendre tous les points faibles de l’existant pour les améliorer, les repenser, les transformer pour les amoindrir voir même les supprimer et ainsi valoriser l’ensemble de l’opération. 

 

Par exemple dans les opérations de Lacaton&Vassal, il avait été prouvé par les entretiens avec les habitants, que les logements manquaient d’espaces et surtout d’un espaces extérieurs privatifs. Les membres des familles, trop nombreuses, se marchaient les uns sur les autres. La réponse des architectes a donc été d’investir les façades en ajoutant des extensions : des jardins d'hiver puis des balcons dans le prolongement direct des séjours. Profonds de deux mètres, ces espaces sont prolongés par un balcon filant d’un mètre de large, offrant une continuité entre intérieur et extérieur. La frontière entre le logement et cette nouvelle enveloppe est définie par des panneaux coulissants, alternativement en plastique ondulé translucide ou en verre, permettant de moduler lumière, ventilation et intimité.

Les séjours se voient donc dédoublés, et les logements gagnent en lumière naturelle, en nouvelles vues, et voient leurs dépenses énergétiques grandement réduites. 

Pour les espaces communs, les architectes choisissent d’intervenir sur les halls en les positionnant de plain-pied avec la rue et en les rendant traversant. Ils ajoutent aussi deux nouveaux ascenseurs pour faciliter la distribution des étages.

Concernant le projet de réhabilitation Tolbiac Moulinet de Studio Aïno, le projet prévoit une mise en conformité du rez-de-chaussée en termes d’accessibilité, ainsi qu’une amélioration de l’isolation thermique, phonique et de la sécurité. Les études architecturales et structurelles indiquent que la structure globale du bâtiment est satisfaisante. En revanche, les façades présentent un état dégradé, nécessitant un ravalement et une isolation extérieure. À l’intérieur, les diagnostics ont mis en évidence des problèmes d’humidité liés à la condensation, causant des moisissures. Ces défauts contribuent fortement à l’inconfort des habitants. 

Le projet prévoit donc le remplacement des baies vitrées existantes et la déconstruction de leurs allèges afin de renforcer l’apport en lumière naturelle et d’améliorer le lien entre l’intérieur des logements et l’extérieur. Certaines allèges seront conservées mais repensées en deux types : soit des pleines dans les futurs jardins d’hiver, intégrant des jardinières, soit ajourées pour celles donnant sur des pièces de vie. Réalisées rapidement pour limiter les nuisances en site occupé, elles seront constituées de briques creuses et d’un isolant. 

 

Par ailleurs, les loggias existantes seront transformées en jardins d’hiver vitrés. Ces espaces intermédiaires offrent un meilleur confort thermique en mi-saison grâce au rayonnement solaire. Pour éviter les surchauffes estivales, les jardins d’hiver seront équipés de vitrages amovibles et de stores extérieurs.

Enfin, le projet intègre une ventilation naturelle assistée (VNA), tirant parti de la configuration en hauteur du bâtiment. Les gaines existantes seront réutilisées pour l’extraction, tandis que de nouvelles prises d’air seront installées en façade. Des moteurs en toiture viendront renforcer le système sans modifier le volume bâti.

Les modifications introduites par la réhabilitation se jouent donc ici plutôt en façade, car c’est là que le diagnostic a révélé le plus d’enjeux. 

L’étape du projet est donc différente selon chaque projet de réhabilitation car le projet dépend ici de l'existant et chaque existant est sensiblement différent. S’il est accompagné d’une éco-conception, le projet se fait donc encore plus spécifique et particulier car à chaque habitant ses propres ressentis. Il n’y a donc pas de formule secrète pour réussir une réhabilitation mais seulement des études approfondies et beaucoup d’idées ingénieuses et de débrouille pour faire au mieux avec ce qui est déjà-là.

   3. LE CHANTIER EN SITE VIDE OU EN SITE OCCUPÉ ?

 

Le temps du chantier est un moment qui doit être réfléchi et qui doit faire partie intégrante de l’organisation du projet. En effet, le relogement des habitants n’est pas toujours possible, cela aura donc un impact sur les possibilités d’intervention des ouvrages. 

Par exemple, pour le projet de BMC2 sur la réhabilitation de tours à Rennes, le projet a été réalisé en site vide. Cette donnée a permis aux architectes de réaliser certaines modifications structurelles importantes depuis l’intérieur du projet et en toiture. 

Mais reloger n’est pas toujours chose facile, et surtout chose réalisable. Dans des opérations contenant un très grand nombre de logements et donc d’habitants, le relogement serait une opération titanesque. Aussi, le relogement peut être très mal vécu par les habitants, car pour certains, même s’ils ne sont pas propriétaires, ils ont vécu toute leur vie dans ces lieux. Le relogement peut être vécu comme une expulsion, un rejet total de leur considération. Certains projets ont donc pour contrainte, la réalisation d’un chantier en site occupé. Il est donc important de penser au phasage du chantier lors de la réhabilitation de tours de logements. Le chantier doit être impérativement phasé et condensé. 

 

Par exemple, pour l’opération du Bois le Prêtre de Lacaton & Vassal, les habitants de la tour sont restés sur place pendant toute la durée des travaux. Ils ont gardé leurs appartements ou ont été logés dans d’autres logements de la tour pendant une durée de quelques jours seulement. Ce processus non intrusif et respectueux du mode de vie existant a été permis par le phasage réfléchi ainsi que par l’intervention par l’extérieur des travaux. En investissant la façade, les ouvriers ne sont que très peu rentrés dans les logements, permettant aux familles de rester. Les architectes ont pensé le projet par l'extérieur, permettant l'occupation et la cohabitation des temps de travaux avec les temps de vie des habitants. 

   CONCLUSION

 

Le travail de ces architectes démontre que la réhabilitation est le choix à faire plutôt que celui de la démolition. Mais aussi, que les transformations peuvent être ambitieuses, innovantes et profondément humaines. Ils redonnent de la générosité aux logements populaires en misant sur la qualité de vie et en repensant l’architecture comme un outil de justice sociale. La participation des habitants ou futurs habitants est pour moi une donnée importante pour la réussite d’un projet et donc pour sa durabilité. L’exercice du diagnostic est la voie d’entrée majeure de tout projet de réhabilitation, dont aujourd’hui les architectes sont encore, dans de trop nombreux cas, les grands absents. Pour pousser ce sujet encore plus loin, nous aurions pu aussi nous intéresser à des réhabilitations comportant des transformations programmatiques, de bureaux à logements et vis versa par exemple.

Travailler le déjà-là, l’existant sous toutes ses formes est pour moi la clef de l’architecture de demain (à pratiquer dès aujourd’hui et sans modération).​​​​​​​​​​​​​​​​​​​

Ancre 1
Ancre 2
  • Facebook
  • Instagram
bottom of page